À travers une série que j’ai nommée Love’s is in parkings, je vais explorer  la notion de non-lieu. C’est une série de photographies animalières en milieu urbain. Cette approche de l’animal suit les méthodes de Sam Hobson, qui photographie les animaux de manière frontale sans pour autant imposer sa présence grâce à des pièges photographiques ou des affûts. Il s’agit donc d’une observation de la faune que l’on pourrait qualifier d’étrange, d’inédite, de secrète ou encore de méconnue et délaissée par le champ de la photographie animalière. Je vais donc interroger comment un non-lieu peut devenir un lieu par la photographie et sa narration.
“ Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu.”
Marc Augé, NON-LIEUX, introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992

Je me suis donc intéressé aux rues embrumées de Tourcoing à l’aube. D’une certaine manière les photographies d’Eugène Atget m’ont beaucoup influencé pour créer cette atmosphère désertique, vide d’humanité. D'autant plus que la série à été réaliser en pleine période de Covid-19 et de confinement. ce contexte ma permis, de créer un espace onirique renforcé par la brume. Au fil des jours, mon intérêt pour l’architecture se tourna vers une figure singulière et répétitive. Un canard colvert attira mon regard au beau milieu de la brume, dans un parking, tournant sa tête de gauche à droite, faisant preuve d’une certaine aisance et d’habitude. Face à cet environnement goudronneux, se dégageait de lui, une sorte de perdition et de reconquête. Je le capturais alors à travers cette photo, désolé, tout autant qu’il l’était dans cette espace inhospitalier.
Après une rapide cartographie des parkings proches du Parc Clémenceau, mon errance prenait fin. J’inscrivis ma démarche dans une observation, une traque, une chasse photographique, de ces lieux incongrue habités la nuit. Il ne s’agissait plus de trouver la bonne rue, le bon cadrage,  mais le bon moment. Avoir un sujet mobile, exacerbais, ma marche à travers la ville, d’aller retour en quête vaine. Les jours passèrent, parfois la brume n’était pas présente, ou c’était le sujet qui n’était pas au rendez-vous. Tandis que d’autres jours, je retrouvais des groupes de jeunes canards, et bien souvent des couples. D’un certain point de vue, l’on pourrait aisément dire que ces rencontres étaient au final hasardeuses bien que recherchées. Effectivement, en sortant de chez moi, je n’avais aucune assurance d’atteindre mon but, qui était justement de me trouver au carrefour de cette rencontre inter-espèce. Il s’agissait alors d’identifier les lieux et les heures favorables au maximum, à ces rencontres.

Le parking est le fruit de la modernité, lieu de transit de machines modernes et d’hommes, c’est donc un non-lieu, où l’on ne se rencontre pas , mais où l’on se croise tout au plus. L’activité humaine et les animaux sauvages ne s’accordent pas souvent en un même endroit, pourtant comme une horloge, dans ces parkings, chacun y jouait un rôle. C’était le théâtre d’un non-lieu, la servitude de ce lieu à l’activité humaine devenant un dortoir pour de grandes machines motorisées. Ce dernier, à l’aube se transformait alors en un jardin secret, accordant sécurité, nourriture et échange à des canards. En effet, la période de reproduction avait lieu à ce moment, j’imagine, que les quelques combats dont j’ai été témoin avec de jeunes sujets étaient dus à cela. Cette quête de territoire, de lieu de couvaison entraînait les couples dans ces parkings. En effet, La canne est capable de nicher à plus de 5 km d’un point d’eau, afin d’isoler et de sécuriser sa portée. 
Cette série questionne nos croyances sur la considération d’un lieu. Notamment à l’aide d’un titre volontairement désinvolte : love’s is in parking, Ce titre, est de plus, un clin d’œil à l’œuvre photographique de Philippe Salaüne, Ty-cam, Bretagne, 1977 de la série, L’avis des animaux, le caractère humoristique de cette photographie d’un couple de canards de barbaries devant des transats à renforcer ma recherche de couples à travers la ville. Non dans le but de les mettre en scène, mais de trouver dans le quotidien, dans le banal, un contraste qui transfigure notre rapport à l’espace urbain. L’animal sauvage a donc été cet élément permettant de créer un paradoxe, un contraste dans la ville, dans les parkings, comme si d’un non-lieu naissait une cohabitation, une liminarité. Ces photos, ont été réalisées dans le but de faire une série narrative, elles présentent avec humour et lourdeur, une interprétation de l’amour. En effet, le parking et le canard.
Se confrontant au regard du spectateur, à la légitimité de cet instant. De nos jours, est ce que nous rencontrons l’amour dans des lieux ou des non-lieux ? Est-ce que l’on pourrait rencontrer l’amour dans un parking ? alors que L’imaginaire du parking est souvent associé au cinéma à des scènes d’agressions, des crimes, des trafics de divers natures, ou encore banales d’une personne regagnant son véhicule et de transit. 

Si l’on considère le lieu comme étant destiné seulement à l’espèce humaine, alors le parking est un non-lieu. Tandis  que si l’on prend en compte d’autres espèces, on se détache d’un point de vue anthropocentrique. Cela ouvre donc d’autres portes sur les possibilités d’un même lieu. C’est en cela que ces portraits viennent à valoriser l’animal liminaire qui reste toujours au porte de l'humanité. L'humain est ici confronter à son rapport à la nature. Ces images narrent, questionnent l’impact et le rôle d’un non-lieu qui ne serait donc plus asservi par l’activité humaine. Il serait alors conquis le temps de l’aube par des couples de canards, le transfigurant alors en lieu. Cette periode d'épidemie à transfigurer les lieux et les frontières entre humain et non-humains.
L’usage d’une esthétique que Walter Benjamin décrit comme scène de crime concernant les photographies d’ Eugène Atget permettent grâce à la désertification du corps de l’Homme une fiction. Cette dernière prend forme grâce aux artefacts composant les portraits de cette série. En effet, le goudron, les voitures, l’architecture jouent alors le symbole de l’Homme. La brume accentue le décalage avec la réalité par son aspect onirique, et passager qu’est l’aube. Un spectateur pourrait très bien considérer cette série comme non-fictionnelle, car l’esthétique mis en place joue des codes du style documentaire. En effet, cette série se situe dans un espace-temps précis et rechercher, mais l’usage du noir et blanc dénature la relation au réel, le portant un peu plus vers la fiction, Gombrich dira à propos du tirage argentique ; “ La photographie en noir et blanc ne donne que des gradations de ton dans une gamme très limitée de gris. Aucun de ces tons évidemment ne correspond à ce que nous appelons la réalité.” Ce que Jean-Marie Schaeffer désignera comme une séparation de l’identité entre la vision et l’image photographique dans son ouvrage L’image précaire : du dispositif photographique, 1987. Bien qu’il s’agisse d’un sujet portant sur le négatif, le système de prise de vue numérique en un fichier RAW reprend cette caractéristique d’une transcription pure de l’image impossible. En effet, il est un enregistrement brut d’une image numérique.Ce dernier est dans cette série interprété en noir et blanc. La frontière entre le lieux et le non-lieux est éparse, ainsi l’identification d’un endroit au sein d’une série photographique - depuis la pensée de Marc Augée - dépendent de notre rapport contextuel à l’image.

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